Dié Foneyé Fulbert, ancien international du Stella. Il a su concilier sport et études. |
. Par leurs qualités
indéniables, leur génie créateur, leur personnalité, en somme par leur talent et leur classe, les
anciennes gloires du sport ivoirien, ont séduit, voire impressionné quand elles
étaient en activité. Mais, au terme de leur carrière, elles ont connu des fortunes
diverses. Certaines ont réussi leur reconversion, d’autres vivent dans la
misère. Le troisième groupe est constitué des anciens joueurs que l’on appelle
par débrouillards. Ils ne sont ni pauvres ni riches et vivent modestement leur
après- sport.
GRANDEUR ET
DECADENCE
Que ce soit en football, en handball, en boxe,
en basket-ball, en cyclisme et dans
beaucoup d’autres disciplines, le sport ivoirien a connu de grands noms
considérés aujourd’hui comme des monuments. Entre autres, Laurent Pokou, le
meilleur buteur africain de tous les temps, Christophe Bazo, Mangue Eustache,
Abdoulaye Traoré, Youssouf Fofana (Asec), Kallet Bialy Docteur, Moh Emmanuel
(Africa), Dié Fonéyé, Bohé Norbert (Stella), Mariam Koné, Namama Nadège Fadiga
(Africa Hbc), Oscar Michel (équipe cycliste d’Abinader), Kouassi Germain (Stade
basket-ball) et Touan Jules et Séa Robinson (anciens champions d’Afrique de
boxe).
Si, au plan sportif,
ils sont des exemples, ils ou la plupart le sont moins dans la vie.
Reconversion
réussie
Parmi ceux qui ont réussi leur reconversion, l’après -sport,
figure Bohé Norbert François, professeur certifié d’Education physique et
membre de la direction technique nationale a tiré profit de son intelligence et
de son sérieux à l’école. «Je dois ma réussite à mes études. Si je n’avais
compté que sur le football, j’aurais
connu un autre sort. La plupart de mes camarades qui m’ont emboîté le pas, sont
à l’aise aujourd’hui. Dié Fonéyé était proviseur au Lycée moderne d’Abobo. Il
est, depuis 2010, à la retrait. Maxime Onnebo, lui, est agent commercial dans une
grande société de la place », confie-t-il.
Fanny Ibrahima, ancien international du Stella et de
l’Africa dans les années 60 et 70, apparaît comme un modèle de reconversion.
Homme d’affaire et maire de Bouaké, Fanny dit gagner correctement sa vie. «Je
n’ai pas de secret particulier. J’ai su organiser ma vie à l’époque. J’ai
toujours été un homme pratique. J’ai choisi ma première profession par rapport
aux objectifs que je m’étais assigné. J’ai fait une maîtrise en éducation
physique. Après avoir obtenu régulièrement mes diplômes, j’ai enseigné le sport
pendant plus d’une demi- décennie. J’étais enseignant à l’Université. J’ai fait
l’équivalent du Bac et je me suis inscrit à la Fac. C’est ainsi que j’ai pu
faire des études d’histoire jusqu’à la maîtrise et je suis entré à l’Ecole
Normale Supérieure (ENA) où j’ai eu le Capes. J’ai donc intégré le corps des
professeurs d’histoire. J’avoue avoir su saisir les opportunités qui m’étaient
offertes », confiait-il, il y a quelques années.
Une constatation de taille. La plupart des sportifs ayant
pratiqué les sports dits mineurs, ont réussi. Bilé Alphonse, ancien
international de Basket-ball, est médecin et secrétaire général de FIBA
Afrique. Kouassi Germain (ancien international, ex-entraîneur des
Eléphants-basketteurs de 1969 à 1981), est directeur de société, Nadège Namama
Fadiga, Mariam Koné (anciennes internationales de l’Africa HBC), Bouanga Akpa
Yvonne (ancienne internationale hlétisme) sont cadres au ministère de la
Jeunesse, de l’Education civique et des Sport (Excusez du peu). «Nous avions
des formateurs à l’école. Le mien, c’était Paul Monnet (oncle d’Auguste
Miremont) à l’ancien foyer catholique de Treichville. J’y étais (1957-1980)
avec le professeur Alain Ekra, Firmin Yobouet (ancien-inspecteur de la Jeunesse
et des Sports), Bamba Vassanossi (ancien colonel –major de l’Armée). Après
1962, je suis allé en France pour suivre une formation. Quand j’y suis revenu,
j’ai évolué pendant deux saisons au Stade d’Abidjan (1966-1968) avant de
prendre l’équipe nationale en main. A l’époque, nous avions un programme bien
établi. Si la plupart d’entre nous ont réussi, c’est parce que nous
privilégions les études ; alors que la plupart des footballeurs étaient
dans la vie civile », nous
expliquait, il y a quelque temps, Kouassi Germain.
Le regard que jette
Kouassi sur la nouvelle génération,
c’est le fait que les parents ont démissionné vis-à-vis de leurs enfants. Au
lieu de les inciter à aller à l’école avant de faire du sport, ils les confient
souvent aux dirigeants de clubs pour s’occuper d’eux. «Mais, comme ceux-ci
veulent des résultats, ils les exploitent et après, ils les rejettent. C’est le
principal problème. J’aurais voulu que même si les enfants ne font pas de bonnes
études, qu’ils aient au moins, un métier pour faire d’eux des modèles. Je suis
fier de Bah Florent (ancien international de Basket-ball) que j’ai suivi. Il
est aujourd’hui, ingénieur en bâtiment. Son avenir est assuré »,
soutient-il.
Abdoulaye Traoré; n'a pas su profiter de son immense talent.
Débrouillardise
Moh Emmanuel, ancien
international de l’Africa Sports fait partie de ceux qui n’ont pas connu la
réussite. Avec sa maîtrise en Droit et vu son talent de grand footballeur, Moh
aurait pu connaître un meilleur sort dans la vie sociale. Malheureusement, le
destin a voulu qu’il fasse partie de la race de ceux qu’on appelle les
débrouillards. L’ancien métronome des Eléphants s’explique : « J’ai
connu trois tournants dans ma vie sportive. En 1973, quand j’étais au sommet de
mon art, Nantes a dépêché Jean Claude Darmon à Abidjan pour la réalisation de
mon transfert. Mais l’Africa a refusé. Le deuxième tournant, c’est quand
j’évoluais à Montpellier (ligue 2 française) en 1975-1976, l’Olympique de Lyon
a fait une offre à mon club. Mais, mes dirigeants d’alors ont dit non. Le
troisième tournant : sur l’initiative du président Zinsou, j’ai fait un
essai concluant au Stade de Reims. On m’a proposé un contrat que j’ai refusé
parce que Zinsou qui m’a amené de Paris à Reims, était absent. Si j’avais su
saisir cette chance, j’aurais pleinement réussi mon après- football. Toutefois,
je ne regrette pas beaucoup. Ma plus grande richesse, c’est mon carnet
d’adresse qui est très dense », fait-il remarquer.
Parmi ceux qui ont
côtoyé Moh Emmanuel, figure Cheick Omar Diallo, ingénieur consultant. Il campe
le personnage. « C’était un joueur hors pair. Il n’a pas eu le niveau qu’il
était capable d’atteindre. Moh n’a pas prévu l’avenir. Il doit sûrement s’en
prendre à lui-même », dit-il.
Moh, très raisonnable, partage cet avis. Lui qui
était à l’époque très jeune : «Je n’en veux à aucun dirigeant. J’ai
toujours été choyé par les dirigeants ; que ce soit à l’Africa ou à
Montpellier où j’étais leur chouchou ».
Laurent Pokou, aujourd’hui
responsable d’une Pme, et Adama Doumbia (ancien international du Stade), n’ont
pas un niveau d’études élevé. Mais, par leur abnégation ils ont pu se frayer
un petit chemin dans la vie. Doumbia qui a pris sa retraite depuis quatre ans,
était cadre dans une importante société de la place.
Pour certains observateurs, si Pokou (l’Homme d’Asmara ou
l’Empereur baoulé) n’a pas pleinement réussi et mène une vie modeste, c’est
parce qu’il a souvent été blessé pendant sa carrière.
Lorsqu’on aborde le
chapitre de ceux dont la reconversion a été un fiasco, beaucoup de voix
s’élèvent. Pour les uns, les dirigeants n’ont pas été honnêtes avec ces
anciennes gloires. Pour les autres, la faute incombe aux joueurs eux-mêmes.
«Les dirigeants ont souvent promis monts et merveilles aux
joueurs. Mais, à l’arrivée, rien. Le cas de Zagolié Gbolié est édifiant. Il
travaillait à la mairie de Bouaké quand l’Africa est allé le recruter.
Aujourd’hui, il tire le diable par la queue. Qu’a fait concrètement l’Africa
pour lui ? », se demande Adama Coulibaly ( agent de Douanes et
Membre associés).
Zagoli lui-même révèle que quand il travaillait à la mairie
de Bouaké, il avait un salaire de 30.000 F CFA. « Quand je suis arrivé
à l’Africa, je vivais de mon salaire et de mes primes de match. En sélection
nationale, je percevais, comme mes coéquipiers, des primes de match. Ceux qui
racontent que le président Zinsou m’a offert beaucoup d’argent, racontent des
histoires. Quand j’ai raccroché, aucun dirigeant ne m’a fait signe de vie.
C’est normal parce qu’il n’a plus besoin de moi, je ne peux plus rien lui apporter. Aujourd’hui, je n’en
veux à personne. Je vis de mes relations. C’est une richesse pour moi Je
suis aussi entraîneur des gardiens de but. Cela me rapporte un peu d’argent»,
ajoute-t-il.
A ceux qui parlent d’ingratitude des dirigeants, Cheich Omar
réplique : « Les responsables de club sont comme des parents qui
dorlotent un bébé. Mais quand ce bébé grandit, ils s’éloignent. C’est la même
chose en sport. Ils ne peuvent donc pas s’occuper des joueurs jusqu’à la fin de
leur vie parce que d’autres vedettes naissent et il faut faire face à leur
situation ».
Suggestions
Moh, Zagoli et Zahui Madou Laurent (ancien milieu défensif
international du Stade d’Abidjan), concluent que la situation précaire dans
laquelle se trouvent la plupart des anciennes gloires, doit interpeller la
génération actuelle –qui a un statut de professionnel. « Nos
cadets ont intérêt à se prendre au sérieux et à revendiquer leurs droits à
leurs employeurs. Ils ne doivent pas écouter ceux qui disent qu’ils sont venus
au football par amour. Aujourd’hui, le football peut garantir la vie d’un
sportif. Au moment où ils sont au mieux de leur forme, ils doivent se montrer
exigeants, implacables dans la revendication de leurs droits. Dans le cas
contraire, ils ne vivront que de regrets au crépuscule de leur carrière ».
Bohé Norbert et Zahui vont
plus loin en demandant à l’Etat de faire quelque chose pour ces
anciennes gloires qui sont au bord du gouffre.
«Aux jeunes basketteurs par exemple, je leur demande
(même s’ils n’ont pas un bon niveau), d’apprendre un métier pour assurer leur
avenir. Le ministère des Sports peut également créer un centre de métier pour
eux », conseille Kouassi Germain.
JEAN-BAPTISTE
BEHI